On ne s’habitue jamais tout à fait à cette perte totale d’intimité qui frappe notre corps de femme enceinte. Notre utérus est scruté et trituré dans ses moindres recoins par un nombre incalculable de médecins. Notre ventre devient la proie de nos proches et d’inconnus qui cherchent à le toucher, appâtés par cette protubérance comme Golum à la vue du précieux. Et nos seins font l’objet de commentaires plus ou moins déplacés, parfois flatteurs mais souvent gênants, quand à leur métamorphose.
Malheureusement, cette atteinte à notre pudeur ne s’arrête pas au corps et à ses parties les plus intimes. Durant toute la grossesse, on devient également la cible de questions, banales en apparence, mais qui s’attaquent finalement à des choix extrêmement personnels, que tout un chacun se sent le droit de juger allègrement. Choix du prénom, lieu de l’accouchement, couleur des murs de la chambre, accouchement avec ou sans péridurale ?… Tout est passé au crible par des âmes parfois plus critiques que bienveillantes.
J’en viens à la question qui m’insupporte le plus : « Tu vas le nourrir ou pas??? »
La formulation de la question en elle-même est déjà un jugement. Puisqu’elle sous-entend que l’on ne peut nourrir son enfant qu’en l’allaitant au sein. Lorsque l’on a choisi de donner le biberon, on est aussitôt classé dans la catégorie des mères indignes, qui ne nourrissent pas leur enfant. En 2014, ne pas allaiter, c’est devenir une sous-mère, qui choisit son petit confort personnel plutôt que le bien-être de son bébé. Ce qui me frappe le plus, outre la virulence des réactions, c’est que l’on est systématiquement appelé à se justifier lorsque l’on n’allaite pas. Sans vouloir verser dans le pathos, j’ai été très blessée par les réflexions essuyées lorsque j’ai fait part de mon choix de ne pas allaiter. Bien que je sois persuadée qu’il y a mille et une bonnes manières d’être mère, et qu’il faut rester en accord avec soi-même avant tout, j’ai trouvé très difficile de ne pas céder à la culpabilité face à cette pression permanente. Ne pas allaiter semble être le nouveau tabou.
Le personnel médical lui-même peine à dissimuler sa désapprobation lorsque vous leur faites part de votre souhait de donner le biberon. Lorsque j’ai regagné ma chambre deux heures après l’accouchement, ma sœur a d’ailleurs eu un petit accrochage avec une auxiliaire de puériculture qui venait me demander de confirmer que j’avais opté pour « l’allaitement artificiel ». Bab s’est offusquée de ce terme qu’elle trouvait péjoratif. Elle était probablement à fleur de peau après sa nuit blanche passée dans le hall du C.H.U. en attendant de pouvoir rencontrer Vadim, mais je trouve qu’elle n’a pas tort. Plus que le terme en lui-même, c’est la manière de présenter les choses de l’équipe médicale qui est loin d’être neutre.
Punition ultime pour la rebelle qui refuse d’allaiter, l’hôpital ne prescrit désormais plus aucun traitement pour stopper les montées de lait. Au programme donc, deux semaines de douleur impossible à soulager, avec des seins tendus comme des pastèques qu’il faut bander soir après soir. Seule solution proposée par l’équipe médicale : enduire ses seins d’infusion de persil ou les recouvrir de feuilles de chou passées au frigo. Personnellement, je n’ai pas testé. Pourtant, cela aurait pu donner lieu à un effeuillage burlesque des plus bucoliques et mémorables.
« ha les mères qui n’allaitent pas, ça commence comme ça et ça fini par un bébé dans le congélateur!!!! »
« Et puis ça incite le bébé à boire au goulot trop jeune, il va finir clochard alcoolique! »
Pas de jugement de mon côté, à part pour le fait de penser que tu seras (es déjà!) une mère formidable. Aucun doute là-dessus. Quel humour et quelle hargne!!!^^ j’adore ça! 😀
Merci pour le petit courrier. Toujours géniaux tes envois avec des petits bouts de plein de choses partout ^^